Le CNA en Deuil

LES VIES AQUATIQUES DU « CAPITAINE » ROBERT CHRISTOPHE (1938-2016)

Éric LAMY

Lundi 18 Avril 2016

IL ÉTAIT LE DERNIER SURVIVANT D’UNE ÉQUIPE FAMEUSE EN SON TEMPS, CELLE QUI, FORMÉE D’ALAIN GOTTVALLES, GÉRARD GROPAIZ, JEAN-PASCAL CURTILLET ET LUI-MÊME, AVAIT BATTU LE RECORD DU MONDE DU RELAIS QUATRE FOIS 100 MÈTRES ; ROBERT CHRISTOPHE, QUI S’EST ÉTEINT CE MATIN À AVIGNON, FUT PENDANT DEUX OLYMPIADES NOTRE NAGEUR DE DOS EMBLÉMATIQUE. PUIS IL DEVINT LE CAPITAINE D’UNE ÉQUIPE DE RELAIS FAMEUSE QUI SERAIT RECORDWOMAN DU MONDE ET CHAMPIONNE D’EUROPE SUR 4 FOIS 100 MÈTRES ET RECORDWOMAN D’EUROPE SUR 4 FOIS 200 MÈTRES

Robert était né à Marseille le 22 février 1938. Il restera surtout dans l’histoire de la natation française comme le double finaliste olympique sur 100 mètres dos, 4e des Jeux de Melbourne, en 1956, et encore 4e aux Jeux de Rome, quatre ans plus tard. Elève de Georges Garret au Cercle des Nageurs de Marseille, il fut aussi champion d’Europe de la distance en 1958. Il en amena le 12 juillet 1959, le record d’Europe à 1’2’’2.

A Melbourne, Christophe débarque avec un temps de 1’5’’9. Mais en séries, il signe un 1’4’’2, record d’Europe et olympique qui change profondément la donne ! Une performance qui lui donnera des regrets, parce que réalisée une course trop tôt. « Je manquais de maturité, d’expérience ! J’aurais dû me qualifier tranquillement, cela m’a mis dans une situation que je n’ai pas su maîtriser », se souviendra-t-il.

 

LE DOSSISTE EMBLÉMATIQUE

 

Il n’est sans doute pas bon de devenir tout à coup le favori d’une épreuve à un tel niveau de compétition, cela vous donne des responsabilités et peut nuire à votre sérénité. En finale, les Australiens David Theile, 1’2’’2, record du monde, et John Monkton, 1’3’’2, dominent, et sont hors de portée ; le jeune Américain Frank McKinney s’arrache en 1’4’’5 et ravit le bronze ; Robert finit 4e avec 1’4’’9. De façon arithmétique, on peut penser dès lors que le bronze eut été à sa portée.

 

En 1958, Robert n’a toujours pas de rival en Europe. Sa domination dans l’Hexagone est telle qu’aux championnats de France d’hiver, il achève le 100 mètres dos avec 5’’7 d’avance sur son second ! Le 15 juin, à Blackpool, où la Grande-Bretagne bat la France par 13 courses à une, il sauve l’honneur tricolore : son 1’2’’9 aux 110 yards dos pulvérise le record d’Europe du 100 mètres que le Hongrois Magyar avait amené à 1’4’’1. Le 4 août, il subit sa seule défaite de la saison, en championnat de France, où le recordman du monde australien, Monckton, a été invité à nager avec ses équipiers kangourous, qui dominent alors presque sans partage la natation mondiale.

 

Aux championnats du Vieux Continent, qui se tiennent à Budapest, Robert Christophe suit à la lettre les consignes de Georges Garret, son entraîneur : partir vite, étouffer tout le monde, et surtout le Soviétique Leonid Barbier, son plus dangereux rival. Se relâcher après les 35 mètres. Se relancer à fond à l’approche du mur d’arrivée. Sauf que notre héros rate son virage. Y laisse tout ou partie de l’avance qu’il doit reconstruire dans la seconde longueur. Il l’emporte finalement en 1’3’’1 contre 1’3’’9, mais a laissé dans l’incident la possibilité d’un exploit chiffré. Il le réalisera en 1959, ses 1’2’’2 constituant la meilleure performance mondiale. Ce qui en fait presque le favori des Jeux de Rome, en 1960.

 

Mais là comme à Melbourne, Christophe est devancé par l’Australien de service (David Theile) qui réussit un doublé historique, et deux Américains. Déception ? L’année a été tellement difficile que cette nouvelle 4e place constitue presque un  miracle. Robert a été victime d’un accident aux lombaires qui l’a contraint d’arrêter de nager. Son père est mort au mois de juin. Il nage dans un tel état physique et émotionnel que chaque course, série, demi-finales, finale, est un exploit en soi.

 

Mais il y a sans doute autre chose. La France, à la différence des pays dominants, n’a pas de nombreux champions. Sa culture sportive est retardataire. Quand un Christophe, un Gottvalles, un Mosconi s’élèvent au-dessus du niveau moyen, ils nagent dans une sorte de solitude et se retrouvent en face de nageurs issus d’une confrontation permanente, premiers des égaux qui leur disputent la place. Avant les Jeux de Tokyo, Alain Gottvalles devance le deuxième Français sur 100 mètres, Gérard Gropaiz, de deux secondes et demie, soit plus de quatre mètres. Don Schollander, qui gagne la course olympique, n’a même pas gagné les sélections américaines, où ses compatriotes Michael Austin et Gary Illmann, ont nagé plus vite que lui : on comprend dès lors, quels que soient leurs talents respectifs, qui de Gottvalles et de Schollander était le mieux préparé à la confrontation !

 

Le 100 mètres dos ayant disparu du programme olympique individuel au profit de la distance double qui ne lui convient guère, Robert, qui a nagé en crawl parfois avec bonheur, va explorer la nage libre avec assez de brio pour participer aux grands relais français : en 1962, aux 4 fois 100 mètres (3’42’’5, record du monde, puis champion d’Europe) et aux 4 fois 200 mètres vice champion d’Europe. Il est aussi du relais 4 fois 100 mètres qui bat le record d’Europe avec 3’39’’2 en 1964.  Ce sera le deuxième volet de sa longue carrière.

 

LE D’ARTAGNAN DU QUATRE FOIS 100 MÈTRES

 

L’anecdote, qu’il m’a lui-même contée, veut que sa découverte de ses capacités de crawleur naissent des plaisanteries des nageurs le libre. Ricanements constamment recyclés sur le dos, rebaptisé « nage à reculons ». Ce jour là, Aldo Eminente, double finaliste olympique du 100 libre et maître en moqueries devant l’Eternel, lui explique doctement dans la chambre d’appel que les nageurs de spécialités sont les crawleurs ratés. Vous allez voir ce que vous allez voir, se dit Robert, et il s’engage sur 100 mètres libre aux championnats de France en 1960 qu’il gagne devant la fine fleur des crawleurs.

 

L’idée de relais autour desquels l’équipe de France doit se reconstruire nait dans l’avion, retour de Rome où les Français ont essuyé un échec cuisant. Lucien Zins et Georges Garret lui annoncent que le 100 mètres dos, son épreuve fétiche, disparait du programme au profit du 200 mètres dos, tandis qu’un relais quatre fois 100 mètres nage libre devient discipline olympique.

 

Reçues dans le même temps, ces deux informations vont se connecter dans son esprit. En effet, Robert Christophe, grand nageur de 100 dos devant l’éternel, souffre sur la distance double. C’est très logiquement qu’il va détourner ses ambitions du dos au crawl, plus exactement aux relais quatre fois 100 et quatre fois 200 mètres libre.

 

Ces courses vont être l’objet d’une grande aventure collective de la natation française, avec ses amis, Jean-Pascal Curtillet, Alain Gottvalles, Gérard Gropaiz et Pierre Duchateau.

 

TOUT SEUL SUR QUATRE FOIS 200 MÈTRES!

 

Malheureusement, une forte angine l’écarte des finales aux Jeux olympiques de Tokyo : le relais quatre fois 100 mètres, qui luttait pour être 3e, est bien lancé par Gottvalles, 54 secondes, mais est disqualifié pour virage incorrect : le jeune Pierre Canavese a utilisé distraitement, dans la bagarre, une culbute, touche « au pied » qui ne sera admise qu’après les Jeux olympiques. La faute n’échappe pas à l’œil vigilant d’un juge. Le relais 4 fois 200 mètres termine 6e.

 

Lorsque l’équipe de France bat un de ses records sur quatre fois 200 mètres, le journaliste de radio André Bibal arrive après la bataille. Il est catastrophé. Il s’était promis de faire vivre la tentative « en direct ». Qu’à cela ne tienne. Autour de Lucien Zins, en présence des quatre relayeurs qui s’efforcent de ne pas rire, on refait le match ! L’un tient le chrono et en se basant sur les temps réalisés plus tôt, Zins signale à Bibal l’arrivée d’un relayeur et le départ du relayeur suivant. Robert Christophe ayant nagé le premier, Bibal conte par le menu la trajectoire du nageur, son style supposé, demande à Zins si on est dans les temps, bref la fiction rejoint la réalité. Lors du passage au relais suivant, Bibal oublie de signaler qu’il s’agit cette fois de Curtillet, et continue sur Christophe, sa vitesse, sa somptueuse technique, bref il est dans la panade. Le deuxième relais achevé, Bibal, toujours dans les vaps, relance Christophe dans le troisième relais, et celui-ci lance au beau milieu de cet improbable direct un tonitruant : « ah ! Non, moi je suis fatigué, j’arrête. »

 

UN SEUL ADVERSAIRE, LE CHRONO

Après ses troisièmes Jeux, Christophe prend enfin une retraite méritée. Il deviendra directeur de la piscine municipale, puis des piscines d’Avignon, poste qu’il conservera jusqu’à sa retraite en 2003. Il était aussi président du Cercle des Nageurs Avignonnais, et effectuait une retraite paisible à Morières-lès-Avignon, dans le Vaucluse. Dans l’ensemble de sa carrière, Robert Christophe a enlevé dix titres de champion de France individuel d’été, 7 sur 100 dos (de 1957 à 1964, sauf l’été 1962, où il laissa la victoire à Jean-Claude Raffy), 2 sur 200 dos (1961 et 1962) et, on l’a dit, un en nage libre, sur 100 mètres (57’’6 en 1960), toute rage dehors, quand un sprinteur lui a affirmé que les nageurs de spécialité comme lui étaient des crawleurs « ratés ». Il enleva aussi, à partir du moment où les championnats de France d’hiver furent disputés, quatre titres nationaux d’hiver du 100 mètres dos entre 1961 et 1964, et un du 200 mètres dos en 1962.

Malgré ce tempérament, Robert Christophe ne confondra jamais les genres, et expliquera, ainsi à ses enfants, que dans la compétition, il n’a jamais eu qu’un adversaire, le chronomètre. Et les autres ? Eh ! Bien, dit-il, ils sont comme toi. Seuls devant le temps qui passe. Alain Mosconi, qui battra des records du monde sur 400 et 800 mètres, se souvient du rôle qu’a joué l’ancien lors qu’avant sa première grande compétition « la seule avant laquelle j’ai eu peur », Robert s’est approché de lui et a démystifié la compétition.

 

« GLOIRE DU SPORT »

 

Robert Christophe a été intronisé Gloire du Sport en 2010. Le soir de cette cérémonie à la Maison du Sport français, nous sommes quelques-uns autour de lui, Gérard Gropaiz, qui disparaîtra deux ans plus tard, Marc de Herdt. Robert conte des anecdotes de sa vie de nageur et m’annonce qu’il entre le lendemain en chirurgie. Une opération aux hanches dont il se remet bien.

 

Ces dernières années, ses enfants avaient ouvert une page sur Facebook où ils invoquaient les belles années sportives de leur père. Robert leur avait transmis une abondante documentation illustrée allant des années 1953 à 1964. Après s’être écarté assez longtemps de ses réminiscences sportives, il avait pris goût à s’y replonger et avait renoué contacts avec des nageurs, dont l’Allemand Hans-Joachim Kuppers, qui avait été recordman du monde du 100 mètres dos en 1964.

 

Il est parti ce matin à 7h15, laissant derrière lui sa famille éplorée : sa femme Huguette, ses enfants Robert et Richard et ses petites-filles Clara et Livra, auxquels

 

j’adresse mes condoléances attristées.

 

Les obsèques auront lieu le Vendredi 22 Avril à 10h au Crématorium d'Avignon.


Nous contacter

Cercle des Nageurs d'Avignon

Stade Nautique d'Avignon

190 avenue Pierre de Coubertin

84000 AVIGNON

Tel: 04.90.86.98.48 (9h-12h)

Mail : cnavignon@gmail.com

Nous suivre